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Encre Nocturne   

R E V I V R E

Admin | Publié sam 25 Mai 2019 - 14:20 | 367 Vues


Pfff, clic, blup, clic... Des bruits... Des voix. Qu'est-ce que c'est ? Oooooh ! Mais qu'est-ce que je fais ici moi ?


- Monsieur, vous m'entendez ?

- Mmmh... Où suis-je ?


Des blouses blanches...


- Tout va bien. Ne vous inquiétez pas. Est-ce que vous avez mal quelque part ?

- Non... Je ne crois pas. Mais je me sens bizarre. Ça tourne.

- C'est normal, monsieur, ça va aller. Vous vous souvenez de quelque chose ?

- Heu... Non. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Maintenant vous êtes revenu. Tout va bien.


Comment suis-je arrivé ici ? Je n'y comprends rien. Je suis couché sur le dos. Le plafond est blanc. Je suis dans un hôpital apparemment. Il y a des médecins et des infirmiers qui sont occupés autour de moi. Est-ce que je suis malade ?


- Monsieur, vous pouvez peut-être me dire en quelle année on est ?

- Heu... En 2019, c'est bien ça ?


Elle consulte sa fiche. Est-ce que c'est une infirmière ? Ou une femme médecin ? À présent, elle me regarde attentivement, de ses grands yeux. En tous cas, elle a un beau visage, clair, sincère.


Je sens un peu de fraîcheur partout. J'espère que je ne suis pas nu. Je ne peux même pas relever la tête pour vérifier.

Il faut que... Mais... ils m'ont attaché ! Je ne parviens pas à bouger. Mes mains sont liées ! Et mes pieds aussi !


- Monsieur, calmez-vous. Il n'y a rien à craindre.


Je ne peux pas tourner la tête, juste ouvrir et fermer les yeux. Mais elle me parle d'une voix douce. C'est plutôt rassurant.


- Voilà, détendez-vous. Et quel est votre nom ? ... Comment vous appelez-vous ?

- Heu... Je...

- Ce n'est pas grave. Vous êtes encore un peu désorienté. Tout va bien. Pour le moment, vous avez besoin de sommeil. Nous vous donnerons des explications plus tard. Mais d'abord il faut vous reposer. Vous pouvez dormir en toute sécurité. Voilà, fermez les yeux. Doucement...


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Je suis toujours allongé et toujours paralysé. C'est affreux. Je ne comprends pas.


- Pourquoi m'avez-vous attaché ? Je veux pouvoir bouger.

- Vous n'êtes pas attaché, monsieur. C'est le substrat qui vous empêche de remuer. C'est normal.

- Est-ce que je suis blessé ou malade ? Quel substrat ? Qu'est-ce que je fais ici à la fin ?


La jolie praticienne essaie de m'apaiser.


- Ne vous inquiétez pas. Vous êtes en bonne santé. Vous êtes plongé dans une gelée nutritive. Seul votre visage émerge. C'est un substrat gélatineux très équilibré qui a pris soin de vous. Votre corps s'est développé petit à petit grâce à cette substance spéciale.

- Et mes vêtements ?

- Vous n'en avez pas besoin. À travers la gelée transparente, nous avons surveillé votre croissance, contrôlé le processus, et vérifié l'absence de malformation.


Elle m'inspecte de la tête aux pieds. Je crois détecter un demi-sourire malicieux dans son regard.


- Rassurez-vous, tout va bien. Vous avez un corps jeune et vigoureux. Ça fait partie des critères stricts de sélection.


De quoi me parle-t-elle ? Ses explications m'embrouillent.


- Comment ? Vous voulez dire que je suis né ici ? Mais ce n'est pas possible. Je n'ai pas pu grandir ici.

- Non, vous avez raison. Vous n'êtes pas repassé par tous les stades : bébé, enfant, adolescent. Votre croissance a été accélérée. Vous avez repris votre forme adulte en 3 semaines environ. Votre corps s'est déployé plutôt comme un végétal qui pousse. Maintenant, vous avez retrouvé votre apparence de 2022, exactement identique. Et quand le corps arrive à son état complet, la conscience se réveille, c'est naturel.


Elle fait un signe à ses collègues.


- Nous allons vous sortir de la gelée nutritive. Vous allez rester ici quelques jours pour un check-up complet. Et notre équipe va vous aider à retrouver toutes vos capacités. Elle va aussi vous rafraîchir la mémoire en douceur.


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Les infirmiers ou les assistants en blouses blanches s'affairent autour de moi. Je suppose qu'ils enlèvent la gelée. Tout est tellement étrange.


- Attendez. Quel est cet hôpital ? On n'est plus en 2022 ? Pourquoi mon corps s'est-il développé ici comme une plante ?

- Essayez de vous souvenir. Vous étiez candidat...

- Candidat à quoi ?

- Vous étiez volontaire pour participer au programme Trans-Vie. Ça ne vous dit rien ?

- Trans-Vie... ? Non, rien.

- Ce n'est pas grave. Quel est votre métier ?


Les assistants ont dégagé ma tête. Je peux mieux les observer. Ils continuent à retirer délicatement la gelée gluante autour de dizaines de capteurs qui restent collés sur ma peau. Ils conservent le précieux substrat dans de grands récipients.


Mon métier ? Quelques images fugitives de mon passé me traversent l'esprit.


- Je crois que j'aime bien les machines, la mécanique. Les ordinateurs et les calculs aussi. C'est assez flou. J'étais une sorte de technicien, non ?


La femme aux grands yeux feuillette les fiches de mon dossier. Son sourire est charmant.


- Bravo ! Oui, vous êtes un ingénieur. Vos connaissances et votre savoir-faire sont très utiles pour la Mission.

- Mais quelle mission ? Et en quelle année sommes-nous ? Où est ma famille ?

- S'il vous plaît, monsieur, restez calme. Il vaut mieux laisser votre mémoire refaire surface progressivement. Vous pouvez essayer de vous mettre debout maintenant. Nous allons vous soutenir.


Ils me redressent délicatement. Une sorte de harnais sous les bras m'empêche de vaciller. J'ai la tête qui tourne, les jambes qui flageolent. Le vertige. Ils continuent de racler la gelée collante sur mon dos.


- Vous étiez presque sans famille. Vous vous souvenez de votre mère ? Elle est décédée un peu avant votre compression. Vous étiez donc libre de toute attache. Et c'est sans doute pour ça que vous vous êtes porté volontaire.

- Ma quoi ? Ma compression ?

- Oui, on appelle ça une compression ou une condensation. C'est un procédé presque naturel qui consiste à faire...


Elle hésite un peu.


- Hem... à faire mourir quelqu'un de manière contrôlée. Je vous passe les détails techniques, mais au moment où l'individu cesse de vivre, on recueille toutes ses informations, et on obtient une graine de vie.

- Une graine ?!

- Oui, une sorte de graine, de la taille d'une noisette. Un condensé biologique d'un être humain entier.

- L'ADN ?

- Oui, mais pas seulement les informations génétiques. Aussi toute l'histoire personnelle et tous les paramètres psychiques. En somme, toutes vos données étaient contenues dans votre graine.


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Ils ont récupéré le plus possible de gelée. Je reste dans mon harnais, mais le vertige a disparu. Je me sens plus stable sur mes pieds. Les capteurs sans fil, disséminés sur ma peau, m'habillent un peu. Trop peu à mon goût. Je ne l'avais pas remarquée, mais il y a une douche au plafond. Les assistants et les infirmières me lavent méticuleusement.


- Donc d'après vous, je suis mort et j'ai été comprimé en une petite graine ? C'est pour ça qu'ensuite mon corps a poussé ici ? Mais pourquoi ?

- Parce que vous êtes un aventurier, un explorateur, un pionnier. Vous rêviez de partir à la découverte du futur. Est-ce que vous l'avez vraiment oublié ?


Je n'ai plus besoin du harnais. Ma toilette terminée, je reçois enfin des vêtements, une sorte de pyjama. Les assistants m'aident à l'enfiler.


- Je ne sais pas... Mais à quoi tout ça peut-il servir ? Pourquoi vouloir mourir pour ressusciter maintenant ? D'ailleurs, vous ne m'avez toujours pas répondu. Je voudrais bien savoir en quelle année on est.

- Écoutez, ne soyez pas trop surpris par ce que je vais vous révéler. En réalité, beaucoup de temps a passé. Nous sommes en 2225.


Elle se lève.


- Bon, vous avez encaissé bien assez de nouvelles perturbantes pour aujourd'hui. Il faut vous reposer. Nous allons vous accompagner jusqu'à votre chambre.


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Des vibrations. Une secousse... Encore une secousse plus puissante.


- Que se passe-t-il ? Un tremblement de terre ?


Ma protectrice au doux regard apparaît sur l'écran du visiophone.


- Non, ne craignez rien, monsieur, ce n'est pas un séisme. Attendez, je vous rejoins.


Elle entre et s'approche de ma couchette.


- Ça arrive parfois. J'espère que vous avez bien dormi malgré cet incident. Comment vous sentez-vous ?

- Ça va bien, merci. D'où viennent ces secousses et ces vibrations ? On dirait que la terre tremble.

- Non, la terre, c'est impossible. Il y a des chocs quand notre bouclier magnétique écarte de petits obstacles. Apparemment, nous traversons une région plus dense en ce moment. Mais vous connaissez ça mieux que moi puisque vous êtes un ingénieur.


Soudain, un flash d'une myriade de souvenirs me percute.


- Edena ! Mais oui ! Nous sommes dans le vaisseau ! Et nous nous dirigeons vers Edena !

- Aaah, très bien. Votre mémoire est en train de se dévoiler. Bienvenue à bord.


Les pièces du puzzle s'assemblent de manière plus cohérente.


- Mais oui ! La Mission ! Le vaisseau Nautilus en route vers la planète Edena. La propulsion par antigravité. Les raccourcis de l'espace-temps. Je me souviens maintenant.

- Bravo !

- Et le programme Trans-Vie ! Bien sûr, les longues expéditions ne sont réalisables que grâce à ce procédé innovant. Les graines de vie ne sont jamais périmées. Bien sûr !

- Exactement. Pendant toute la durée du trajet, nos vies sont restées en stand-by.


C'est exaltant ! C'est beau l'aventure de la conquête spatiale !


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- Alors ? Ça a fonctionné ? La renaissance a réussi pour tout le monde ?

- Non, malheureusement...

- Oh ?!

- Nous déplorons quatre échecs survenus lors des premiers retours. Vous le savez, la première vague est obligatoirement automatisée. Elle comporte donc plus de risques. Mais le plus tragique est arrivé pendant la deuxième vague.


C'était trop beau. Le rêve tourne au cauchemar.


- Un virus a provoqué une sorte d'épidémie. Il a contrecarré l'éclosion des graines de presque la moitié des membres d'équipage. Et parmi les absents, il y a le capitaine de vaisseau.

- Ce qui menace gravement notre Mission. Mais comment... ?

- Si la graine ne germe pas ou si elle se développe de travers, c'est perdu, il n'y a pas de seconde chance. Alors nos chercheurs ont travaillé sans relâche et ils ont trouvé un remède. Grâce à eux, la troisième vague de réveils collectifs est en cours et elle se déroule bien.


À sa demande, nous nous déplaçons jusqu'à une petite salle remplie d'appareils. Elle inspecte des graphiques sur ses écrans. Probablement les courbes des mesures émises par mes capteurs.

Brusquement, un choc violent nous déstabilise. Cette fois, il y a de l'inquiétude dans ses grands yeux. Elle s'exclame :


- Encore une secousse !

- Il y en a souvent ?

- Non, c'est plutôt rare, mais il y en a de plus en plus. Celle-ci était particulièrement forte. Vous pensez qu'il y a un danger ?

- Je ne sais pas. Le vaisseau est solide et son bouclier magnétique est puissant. Mais c'est bizarre, en principe, notre route devrait éviter les zones périlleuses quand même.

- Oui. Mais l'équipage est en partie décimé et il manque un capitaine de vaisseau.

- De toute façon, la navigation est certainement assurée à 99 pour cent par le pilotage automatique.

- Ok, mais alors comment expliquer ces vibrations et ces chocs répétés ?


Comme pour renforcer ses doutes, les tremblements reprennent de plus belle sous nos pieds.


- Vous avez raison. Il faut faire quelque chose ! Je vais tout de suite aller voir comment on exerce la navigation dans ce vaisseau.

- Hé, mais vous êtes encore en observation !

- Alors, allons-y ensemble. Vous pourrez veiller sur ma santé. Vite, courons au poste de pilotage.


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Nous nous dépêchons à travers les couloirs jusqu'à la salle de navigation. Là, au milieu d'écrans clignotants, quelques membres d'équipage s'activent frénétiquement. Ils manipulent avec fièvre les boutons et les manettes de grands tableaux de commande. Ils semblent dépassés.


Sans trop les déranger, nous essayons de comprendre la situation.


- Le pilotage automatique a subi une défaillance. Il a conduit le vaisseau vers une région de l'espace trop dense. Nous nous efforçons de rectifier la trajectoire. Mais il nous reste très peu de temps avant de percuter cette ceinture stellaire qui nous barre l'horizon.


En effet, les écrans des radars montrent une immense barrière d'étoiles qui semble foncer vers nous.


Les postes vacants ne manquent pas dans la salle. Ma protectrice et moi prenons place et nous nous mettons immédiatement au travail. J'effectue une série de calculs complexes. Elle se renseigne auprès des collègues et me rapporte des informations utiles. De temps en temps, une secousse vient nous rappeler l'urgence de notre sort.


Nous réfléchissons ensemble.


- Notre vaisseau se déplace à une telle vitesse que la ceinture stellaire géante est comme un mur d'étoiles infranchissable.

- C'est une ceinture. Alors qu'y a-t-il à l'intérieur ?

- Au centre de la ceinture, il y a un autre piège mortel. Il y a un énorme trou noir.


Ce titan supermassif avale goulûment tout ce qui passe à sa portée.


- Mais pour éviter le mur, il n'y a qu'une seule issue, il faut traverser le trou noir. Si notre vaisseau tombe dedans, ne pourra-t-il vraiment pas s'en échapper ensuite ?

- Non, aucune chance. Rien ne peut résister à l'attraction monstrueuse du trou noir. C'est un ogre.


Soudain, à nouveau, le bouclier encaisse quelques coups et nous sommes durement bousculés. Le mur se rapproche dangereusement.


Il faut oser ! N'importe quoi !


- Alors nous n'avons pas le choix. Nous devons nous faufiler entre les deux ! Entre la ceinture stellaire et le trou noir.

- Entre les deux ?! Mais c'est de la folie !


Elle me regarde fixement, avec une détermination charmante.


- Oui certainement.


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Avec le plus grand empressement, nous exposons notre idée délirante à nos collègues. Nous devons unir nos efforts et tenter notre dernière chance. Immédiatement, chacun se précipite à la tâche.


On calcule. On compte. On mesure. On résout. On décide.

Il reste très peu de temps.

Le vaisseau progresse par saccades.


Dix.

On dessine. On trace. On encode. On corrige. On redresse.

Il cahote agité de soubresauts.


Neuf.

On souffle. On soupire. On peine. On transpire. On souffre.

Il agonise. Il râle.


Huit.

Nous sommes secoués, ballottés, bringuebalés.

Et finalement, ça y est ! Le vaisseau amorce un virage serré.

S'approchant de la frontière du trou noir, il oscille d'un côté puis de l'autre.


Sept.

Visant la limite entre le désastre et l'abîme.


Six.

Le point entre le cataclysme et l'anéantissement.


Cinq.

Sur le fil du rasoir il hésite.


Quatre.

À gauche, les étoiles se jettent droit sur nous.


Trois.

À droite, le trou noir ouvre sa gueule gigantesque.


Deux.

À gauche, l'espace se densifie jusqu'à devenir opaque.


Un.

À droite, le trou noir nous engloutit.


Zéro.

- Aaaaaaaaah !


Et ça passe miraculeusement !


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- Ouf ! Sauvés ! Pfiouuu ! Incroyable ! Nous avons réussi ! C'est formidable !


On saute de joie. On s'embrasse. On se félicite à grands cris.


- Vivants ! Nous sommes vivants !


Je saisis les mains de ma nouvelle amie. L'espoir, le courage, la peur, le soulagement, la joie... Les émotions extrêmes que nous avons partagées nous ont rendus plus proches l'un de l'autre. Nous restons un long moment les yeux dans les yeux.


- Nous formons une bonne équipe tous les deux.

- Oh oui, restons ensemble.

- D'accord, du fond du coeur.


Finalement, le trou noir a servi de tremplin à notre vaisseau. Nous continuons notre route en empruntant par-ci par-là des trous de ver et d'autres raccourcis de l'espace-temps.


Bientôt, le moment viendra de se poser sur Edena. Et c'est là que commencera la véritable aventure.

Notre cargaison de graines de vie tiendra sûrement ses promesses...


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Pour Nautilus, merci à Jules Verne dans le roman Vingt mille lieues sous les mers.

Pour Edena, merci à Moebius dans la bande dessinée Le Monde d'Edena.

Concernant les trous noirs, la cosmologie, etc, merci notamment à Aurélien Barrau.





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