Messages : 2081 Date d'inscription : 03/06/2015 Localisation : Derrière un pouet Humeur : pouet
Sujet: Gérer le rythme de son texte Mar 21 Juil 2015 - 21:16
Bonsoir à tous ! Nous allons aborder ce soir la question du rythme dans vos poèmes/romans/récits/pièces de théâtre (liste non exhaustive) et nous appuyer sur différents moyens d'accélérer, ralentir ou tout simplement marquer le rythme dans un moment de l’action ou du récit.
I - Dire le rythme.
Un titre assez énigmatique mais pourtant simple : pour montrer le rythme du texte, on peut dire au lecteur quand accélérer et quand ralentir. Nous allons nous servir du “temps” (comme en musique) et de la “vitesse”. Une vitesse de 1 signifie une vitesse normale (c’est clair hein ?) : pas rapide, pas lent, le parler normal quoi.
Premier marqueur : le saut de ligne. Chaque saut de ligne délimite les paragraphes et donc montre une pause dans la lecture. Ça paraît bête, mais ne rien écrire signifie une pause pour le lecteur, mais aussi pour l’auteur. Le paragraphe a une unité et entre chaque unité, il faut faire une pause.
Deuxième marqueur : expliciter la pause. En poésie, on en utilise peu ou pas du tout, on verra le cas de la poésie plus tard. Au théâtre, en didascalies, on peut utiliser quelques termes qui forcent la pause pour le comédien. Personnellement, j’en utilise trois : “Un temps”, “Pause” et “Silence”. La nuance est dans le nombre de temps de pause. “Un temps” = 1, “Pause” = 2, “Silence” = 3, 4 ou plus. Ces didascalies, en plein milieu du texte, forcent l’arrêt, pendant la lecture comme pendant le jeu. La vitesse décroît donc. Dans un texte narratif, le terme “silence” peut être utilisé. Il explicite la présence d’un silence, tout simplement. Son utilité est renforcée par des qualificatifs, un allongement de la phrase et tout un tas d’outils que nous allons voir par la suite, mais aussi par la description de ce qu’il se passe pendant ce silence.
Un silence de plomb régnait dans cette salle obscure. On entendait les mouches virevolter autour de l’unique source de lumière de la pièce, une simple lampe éclairant le visage du barman.
Vitesse = 0.3 à 0.5 (à peu près, c’est pas une science exacte) Cette description permet de qualifier un décor et une scène, mais aussi d’instaurer le silence, d’autant plus s’il y avait une action auparavant.
John monta l’escalier en vitesse et entra dans le bar avec fracas. Un silence de plomb régnait dans cette salle obscure. On entendait les mouches virevolter autour de l’unique source de lumière de la pièce, une simple lampe éclairant le visage du barman.
Voilà deux moyens simples d’assurer le rythme, notamment un rythme peu soutenu, car le rythme soutenu se crée plus subtilement.
II - Voyage au centre de la grammaire
La grammaire fait peur à la plupart d’entre vous mais ne vous en inquiétez pas, ici son usage sera assez simple.
Tout d’abord, la syntaxe. Un facteur qui accélère ou ralenti le rythme est la longueur des phrases et des propositions. Plus les propositions sont longues, plus le rythme s’allonge. Prenez une description de Proust, qui fait des lignes et des lignes. Le rythme est très lent :
Marcel Proust, dans A la recherche du temps perdu a écrit:
on voyait, selon l’exposition, la lumière venir se jouer sur les espaliers comme sur les eaux printanières et faire déferler çà et là, étincelant parmi le treillage à claire-voie rempli d’azur des branches, l’écume blanchissante d’une fleur ensoleillée et mousseuse.
La phrase est longue et il y a quelque chose d’intéressant dans la proposition en couleur “selon l’exposition”. Elle coupe la phrase dès le début mais ne fait pas accélérer le rythme, mais au contraire il le fait ralentir. En effet, cette proposition est toute seule à couper la longue phrase, cette dernière défile donc après ce passage entre virgules qui fait office de pause avant de lire le reste de la phrase dans son intégralité, sans pause équivalente.
A l’inverse, plus les propositions s’enchaînent, plus le rythme est soutenu, évidemment :
Jean-Luc Lagarce, dans Juste la fin du monde a écrit:
Il t’écoute‚ cela t’intéresse ? Il t’écoute‚ il vient de le dire‚ cela l’intéresse‚ nos enfants‚ tes enfants‚ mes enfants‚ cela lui plaît‚ cela te plaît ?
Cet extrait s’ancre dans une scène de tension (toute la pièce est très tendue de toutes façons) et il montre bien ce rythme soutenu. On ne fera pas de pause ou presque aux retours à la lignes ou aux virgules ; on augmentera la quantité vocalique au fur et à mesure, ce qui accentue d’autant plus le rythme mené par la structure syntaxique.
Et on mélange le tout :
Pascal Rambert, dans Clôture de l'Amour a écrit:
ce n’est pas drôle ce n’est pas marrant c’est déclaré c’est sans doute dégueulasse c’est dégueulasse on ne devrait pas en être fier je n’en suis pas fier | mais tu ne me fais plus rien Audrey vois tu je te regarde et je ne ressens plus rien je vois tes larmes couler et cela ne me fait rien en un autre temps je me serais précipité contre toi | je t’aurais saisie j’aurais saisi taille et bouche et je t’aurais serrée le monde était simple et ta douleur dans ta poitrine un coup de hache dans la mienne mais aujourd’hui ce spectacle notre spectacle mon corps le refuse
Beaucoup de chose à dire sur cet extrait d’une pièce incroyablement dure et intense. 3 parties séparées par les lignes verticales 1 - Vitesse = 1,2 + peu de pauses aux retours à la ligne + répétitions qui donnent un rythme assez soutenu, mais pas violent 2 - A partir du “mais”, qui coupe avec la première partie. Les phrases sont plus complexes et plus longues, malgré les “et” 3 - Accélération. Vitesse = 1,3. Les phrases s’enchaînent sans aucune liaison, c’est de la surenchère totale et ça s’accumule, ça s’accumule jusqu’à la réfutation “mon corps le refuse”
Voilà pour la syntaxe, un excellent outil pour modifier le rythme. Un autre outil pour gérer le rythme est le mot de liaison. Il sert tout d’abord à créer une coupure dans le récit. Plus le mot est long, plus la coupure est efficace Exemple !
Sam se mit à courir dans la nuit noire pour lui échapper, sentant la torpeur et la détresse l’envahir. Il esquiva les rochers, il se détourna des arbres qui se logeaient sur sa route. Il voulait rentrer chez lui, simplement rentrer dans sa modeste demeure. Il courait avec ardeur, il courait dans la seule optique de s’éloigner de lui, sans trouver la peine de regarder devant soi. Finalement, il arriva chez lui.
J’ai consciemment écrit une phrase finale très courte, qui au bout du compte ralentit l’action. Mais à force de couper le rythme, on obtient un rythme rapide !
Je mis le verre dans le lave-vaisselle, puis l’assiette, puis mes couverts et enfin je fermai la machine et la mis en route.
(J’ai pas dis que ce que je racontais était intéressant hein.)
III - Dans un monde de sonorités
Allons plus loin dans le raisonnement et cherchons de l’aide dans notre petit lobe frontal. Ouais, on va se servir de la science et plus particulièrement de la mémoire à court terme. C’est elle qui nous permet de lire une phrase et en comprendre le sens car une fois qu’on arrive à la fin celle-ci, on se souvient encore du début. C’est elle aussi qui signale les répétitions. Quand Ragne et moi soulignons une répétition d’un mot dans un commentaire, c’est notre mémoire à court terme qui l’a repérée. Donc le premier outil est la répétition de mot, mais ça, c’est trop simple, on s’en fout. L’outil que l’on va étudier sera la répétition de son. Partons de la rime. Vous en connaissez le principe, un son plus ou moins riche qui se répète en fin de vers. Avec un mètre régulier, la rime est également régulière : c’est ce qui donne l’aspect très (trop) strict de la poésie classique.
Tristan Corbière, dans les Amours Jaunes a écrit:
Il ne naquit par aucun bout, Fut toujours poussé vent-de-bout, Et fut un arlequin-debout, Mélange adultère du tout.
Les sons résonnent dans notre cerveau grâce à notre mémoire (et oui Jamy !) Mais allons encore plus loin, dans la poésie en forme libre et dans la prose. On n’y trouve aucune régularité et donc l’utilisation des sons est totalement libre. On peut donc les utiliser pour faire varier le rythme. Prenons un exemple de prose avec Christian Prigent :
Ses lectures (et ses textes évidemment) sont très particulières, donc on aime ou on aime pas, mais la question ne se pose pas ici. Vous voyez bien que se lecture se fait à un rythme particulier, qui varie en fonction des sons qu’il utilise. Son écriture se caractérise par ce jeu de rythme et de sonorités, un rythme qui s’allonge, puis qui se raccourcit. Très particulier, mais très intéressant. On peut également jouer sur plusieurs sonorités et jongler avec sur quelques lignes et propositions.
Et je te vois de face, douce asphodèle, Tu enivre mon âme comme j’enivre mon corps, Seul, sans modèle pour rêver d’audace, Tel un navire chavirant au port.
(J’avais pas d’idée pour l’exemple, donc j’ai pris une de mes strophes huhu)
Cet outil peut s’utiliser partout, même dans le roman, où vous sortirez des sentiers battus !
Voilà, ce tour d’horizon touche à sa fin. Sachez que j’ai pris beaucoup de plaisir à le travailler et à l’étudier, en cherchant en profondeur dans les méandres de la langue française. J’espère qu’il vous sera utile dans vos prochains écrits !
------------------------------------------------------------------------------------------------ "Chanter des chansons chez patrick Sébastien , enfin j'avais trouve mon identité je croyais que j'étais spiderman mais en vrai j'étais un agneau qui nage, j'avais plus peur des loup et de la mort car je savais qu'au bout du compte on finirai tous chez patrick Sébastien" Pierre, 21/04/2018
Sujet: Re: Gérer le rythme de son texte Mer 22 Juil 2015 - 10:57
Joli tuto Il faut le dire, sacré travail, sacré mise en forme, sacré recherche. Je tenais toutefois à préciser plusieurs trucs. Déjà tout ne marche pas pour tout. Si vous voulez dynamiser votre rythme en roman par des retour à la ligne, y'as le risque d'une explosion littéraire dans la tête de votre lecteur. En règle général, le retour à la ligne demande une sacré maitrise de la grammaire, syntaxe et toutes ses merde qui font la langue, ne vous y risquez pas sans être sur de votre coup.
Et sinon, y'as un trou je pense, quid de l'élude et de quand on meuble. Le rythme doit servir l'histoire, et pas l'inverse. Dans une histoire, on campe un personnage (ou plusieurs, mais osef) Il faut donc utiliser sa compréhension du monde pour le rythme. Dans un moment calme, la description des lieux, de l'action sera absolu. Le personnage aura le temps de tout voir. On peut même en cas d'ennui meubler, c'est à dire assaillir le lecteur de détail inutile, (pagnol, tolkien si vous me lisez, je précise, dans des moments d'ennui! faut pas en abuser) Au contraire, dans un moment rapide, nerveux, notre personnage va se focaliser sur son objectif et le monde l'environnant sera complétement ignoré On passera de
Impro a écrit:
Il passa à côté d'un fauteil napoléonnien. Le temps ne l'avait pas épargné, termites et rouille parsemaient l'ouvrage. Le vernis s'était peu à peu écaillé avec le temps. Franz arrêta tant ses pas que son regard pour observer ce vestige d'un autre temps. Puis il reprit la visite lentement, il avait une heure d'avance.
à
impro ramassé 2 a écrit:
Les balles sifflaient autour de Franz qui passa à côté d'un vieux siège en trombe. Il lui fallait s'abriter
Pour moi c'est le premier facteur de rythme dans un texte, développer une empathie avec la réalité de ses personnage
Silenuse
Messages : 2081 Date d'inscription : 03/06/2015 Localisation : Derrière un pouet Humeur : pouet
Sujet: Re: Gérer le rythme de son texte Mer 22 Juil 2015 - 11:07
Merci Ragne pour ces précisions indispensables. C'est vrai que mes compétences en textes narratifs ne sont pas très poussées, c'est bien qu'un romancier vienne ici et complète. Je n'avais pas du tout pensé à la focalisation, au point de vue du personnage, je me suis plus focalisé sur les outils de la langue. Ton exemple est efficace en plus. Merci encore <3
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je ne suis pas la beauté de ton cœur Je suis la pensé sombre que tu t'efforce a cacher
J'incline le miroir face à moi mon regard me transperce l'âme
Invité Invité
Sujet: Re: Gérer le rythme de son texte Jeu 23 Juil 2015 - 5:58
Oh oui, j'ai adoré ! Même à 6h du matin, ton tutoriel est efficace ! Les petites parenthèses déjà, c'est marrant à chaque fois. Les divisions de parties. Bon, je me doutais que le rythme = mettre une citation de Lagarce.
Bon par contre, ça m'a donné encore plus envie de lire l'autre auteur ! (dont j'oublie le nom à peine lu...). En tout cas tu apportes de bonnes approches et tes exemples sont très intéressants. On retrouve tout ce qu'on sait déjà (euh, je crois) mais c'est vraiment bien expliqué !
Merci pour tout !
Silenuse
Messages : 2081 Date d'inscription : 03/06/2015 Localisation : Derrière un pouet Humeur : pouet
Sujet: Re: Gérer le rythme de son texte Jeu 23 Juil 2015 - 9:50
Merci beaucoup Aube et zali <3
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