Note: Lisez, si ce n'est pas encore fait, "
Le Système des Mondes" (clique sur le titre pour le lien) si vous tenez à comprendre le texte, car c'en est la suite. Bonne lecture
1)
Durant l’antiquité, il était d’usage parmi les philosophes de penser que le mouvement des astres suivait une logique symphonique, c’était la musique de l’univers… Des valeurs de ton étaient données à chaque planète en fonction de ses caractéristiques, et on en tirait une partition, c'était l'harmonie des sphères.
On retrouve cette théorie jusqu’à la renaissance, après, j’en suis pas sûr [1]; il y avait trop d’incohérence visiblement.
Pourtant, ne peut-on voir dans les principes mathématiques qui nous gouvernent la plus belle des symphonies ? Celle-là qui ne peut admettre de discordance ?
La matière est une onde [2], la musique aussi, pourquoi pas le mouvement ?
Puis, dans une équation, pas de fausse note.
Il est étonnant de voir les domaines que régissent les mathématiques. On peut l’utiliser pour caractériser le degré d’intelligence, la qualité d’un texte… On peut juger du hasard [3].
Existe-t-il quelque chose qui ne soit pas mathématique ?
C’était l’avis d’Ed, c’était aussi le mien en un sens, mais je n’en comprenais pas aussi bien la portée que mon ami.
2)
Dès que nous rencontrâmes Dvarok, Ed lui expliqua ce qu’il attendait de lui. Nous ne nous étions pas même encore présentés, mais il n’y avait pas vraiment besoin à vrai dire. La seule chose qui nous motivait était les moyens que notre mécène mettait en place pour que nous puissions observer et valider nos recherches sur ce qu’Ed avait surnommé le « Système des Mondes ».
J’aimais bien ce nom de système, cela correspondait bien à la découverte d’Ed. C’était comme un système d’équations, tous ces mondes différents qui, ensemble, pourrait donner la réponse à une équation ultime… Mais leur nombre donnerait des cauchemars même au démon de Laplace [4].
Dvorak fit mettre en chantier les installations dont nous aurions besoin pendant que l’on se rendait vers la sphère de Dyson qu’il avait fait tout spécialement construire pour le projet, autour d’un soleil de taille moyenne.
Une quantité incroyable d’énergie… tout ce dont l’on avait besoin.
3)
Le vide se défini comme le plus bas état d’énergie. Entre les mondes, il n’y a pas de vide ; entre les mondes, il n’y a rien.
Je veux dire par là qu’on ne peut s’imaginer envoyer un objet entre deux mondes car il n’y a ni distance ni temps entre ceux-là.
En un sens, on peut dire vulgairement qu’ils sont tous dans des dimensions différentes qui ne se chevauchent pas, et dont les origines seraient en plus décalées.
Ainsi, d’une certaine manière, l’idée d’Ed était simple. Il voulait trouver un axe dimensionnel qui lui permette de se projeter sur les dimensions d’un autre univers, ou au moins de trouver ses dimensions pour pouvoir l’observer.
Les trous noirs ont cette propriété d’envoyer la matière vers une quatrième dimension, ainsi que d’être la source d’intenses rayonnements. Ed les voyait comme des portails entre ces espaces, et les rayonnements détectés en transporteraient donc les caractéristiques.
Il lui suffirait, disait-t’ il, d’analyser les signaux qui n’étaient pas engendrés par notre monde, puis de les décrypter et les associer avec les phénomènes connus pour en découvrir les caractéristiques respectives, et par là celles de cet autre univers.
Si sur papier, l’idée semblait effectivement simple et intuitive, dans les faits il fut extrêmement compliqué à mettre cela en œuvre. C’était comme essayer de dessiner sans perspective et en deux dimensions un objet initialement en trois : on tente de le découper, de l’écraser, on le déforme pour tenter de l’imaginer.
Mais on ne savait même pas comment était la dimension observée.
4)
L’expérience d’Ed était ainsi menée : nous avions conçu un trou noir d’un dixième de millimètres de diamètre, soit d’une masse d’environ onze milliards de tonnes, vingt milliards de fois plus léger que la terre [5], et canalisions vers lui un faisceau d’énergie produit par la sphère de Dyson pour éviter qu’il ne se développe ni disparaisse. A tout moment, nous aurions pu envoyer assez d’énergie que pour le refermer.
Tout autour du trou noir, des capteurs de toute sorte avaient été construits afin de capturer chaque onde, chaque particule qui s’en échappait : électronique, gravifique, radiations… Rien n’échappait à nous capteurs. Nous analysions ensuite les données au moyen d’ordinateurs plus puissants qu’il n’est possible de se l’imaginer.
La quantité d’information était incroyable, et ce qu’on devait en faire l’était tout autant.
Cela nous prit des années.
Dans un premier temps, nous avions identifié les ondes dont nous connaissions la provenance de nos données. Ensuite, certains d’avoir éliminé tous les signaux venant de notre monde, nous commençâmes à étudier celles qui nous restaient.
Et pendant ce temps, l’expérience continuait, les données s’affinaient ; nous avions entré dans les ordinateurs les données permettant d’ignorer les signaux connus, et jour après jour, nous avancions.
Nous avions décidé, pour analyser l’onde restante, de la modéliser informatiquement pour ensuite la décomposer en les ondes les plus simples possibles. Ainsi, on remarqua qu’à chaque onde simple nous pouvions associer un signal d’interaction connue de notre univers. Ce fut la seconde partie de notre travail.
Patiemment, nous comparâmes formes et caractéristiques, particularités et comportement des signaux ; de là, nous donnions des valeurs aux constantes de cet univers et peu à peu, l’appréhendions.
J’avais alors pensé que nous nous arrêterions là.
On avait nous valeurs, on pouvait, grâce à nos mesures, prédire le comportement de la matière et de mouvement dans les autres mondes qui composaient le Système… Mais c’était sans compter la rigueur d’Ed, car maintenant qu’il avait des valeurs, il voulait pouvoir observer ces autres univers.
5)
Si l’on veut lancer un objet d’une plateforme en mouvement à une autre, il faut savoir comment ces plateformes fougent l’une par rapport à l’autre. Pour deux univers, c’est pareil à quelques complications près : savoir effectuer le lancer, savoir comment effectuer la réception…
Nous ne savions pas si le passage d’un système tridimensionnel à un autre conserverait les formes ou les directions.
Nous n’étions même pas sûrs que l’autre univers fût bien tridimensionnel.
Et puis… nous ne savions pas comment faire pour retourner dans notre monde après le « grand saut ».
En fait, on ne savait toujours pas grand-chose.
C’est pour ça que ça nous passionnait, et Dvorak avait des hangars plein à craquer de tous les matériaux qui pourraient servir à construire notre engin trans-universel.
6)
Pour beaucoup, la physique n’est rien d’autre que des mathématiques appliquée, des calculs longs et pénibles ; plus rares sont ceux qui la voient comme une science fondamentalement expérimentale.
Moi, j’irais jusqu’à dire que c’est le bac-à-sable des mathématiques, l’outil qui les développe et les teste.
Ed est de l’avis que les math sont les règles d’or de la création, et que les univers seraient donc des montages dus ni au hasard, ni à un quelconque dieu, mais à la pureté et la justesse sans équivoque des mathématiques.
Ce qui existe est tel car c’est tel qu’il existe qu’il est correct.
C’est l’harmonie suprême.
Mais nous ne connaissions pas les partitions de cette subtile symphonie, alors nous dûmes nous résoudre à tâtonner.
Nous avions notre trou noir, nous avions donc notre monde parallèle. Sur plusieurs mois, nous y lançâmes des milliers de vaisseaux drones tous conçu différemment afin de tester lesquels étaient les plus aptes à effectuer le voyage aller-retour.
Dès que l’un nous revenait, quel que soit son état, nous en faisions créer des centaines du même type afin de voir si nous pouvions reproduire les résultats, puis sélectionnions ses caractéristiques les plus prometteuses pour concevoir les versions suivantes.
Il nous fallut deux ans avant que l’un d’entre eux revienne presque opérationnel. Une année de plus fut nécessaire avant qu’un vaisseau revienne dans l’état où il était partit.
Le seul détail qui nous contrariait était que nous n’observions jamais rien de concret sur les caméras embarquées.
Nous mime alors en chantier le prototype d’un engin habitable, dont les plants étaient basés sur nos essais avec les drones, afin de pouvoir nous même effectuer le voyage.
Une nouvelle année d’essais et de modifications fut investie pour que l’on arrive à la version finale dans laquelle nous allions embarquer, moi, Ed, Dvarok et cinq membres de l’équipe qui avait travaillé sur le projet avec nous.
Le vaisseau ressemblait à un œuf, proche de la sphère pour la solidité, mais légèrement oblong afin de maximiser l’espace utilisable.
Ses dimensions étaient relativement importantes, cent cinquante mètres de long pour cent de large. A bord, chaque membre avait une chambre de près de cinq mètres de côtés, nous avions dix fois l’énergie nécessaire grâce aux cinq réacteurs à fusion nucléaire, nous avions à notre disposition dix mille litres d’eau potable, de quoi recycler tous nos déchets et l’oxygène que l’on respirait, nous avion même des étages potagers…
Nous avion besoin de rien et rien ne nous retenait.
Un mois fut nécessaire à la préparation de l’équipage après la construction du vaisseau, demain, on y va.
On devrait pouvoir revenir, mais on n’est pas à l’abri d’un imprévu de l’autre côté du trou noir, dans cet autre monde.
Ceci est peut-être donc la dernière trace de nos travaux, j’essayerais d’envoyer mes rapports si je le peux, et sinon… sinon, on verra.
Le grand voyage est pour demain.
- Complément d'informations:
-
[1]
L’Harmonie des Sphères
C’est une philosophie qui était très répandue dans l’antiquité et ce jusque dans la renaissance. On la retrouve chez les Pythagoriciens, chez Kepler plus tard.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Harmonie_des_sph%C3%A8res
[2]
La dualité onde-corpuscule
Si je savais vous expliquer ça, j’aurais probablement le Prix Nobel de physique ^^
Wikipedia est donc notre ami :P
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualit%C3%A9_onde-corpuscule
[3]
Cela peut se faire par analyse de l’entropie d’un langage, d’un texte…
Je vous renvoie à nouveau directement vers Wikipedia pour des infos plus claires :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Entropie_de_Shannon#Utilit.C3.A9_pratique
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Zipf
[4]
Le Démon de Laplace
« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »
— Pierre Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités
Le Démon de Laplace (mathématicien du 18ème) est donc le concept d’une entité qui aurait 3 objet en sa possession : la position et l’état de mouvement de chaque particule dans l’univers à un moment donné dans le temps, la connaissance des lois de la physique et enfin une puissance de calcul suffisante que pour pouvoir calculer pour chaque particule sa trajectoire. Alors, pour cette entité/machine, en supposant qu’aucun mouvement n’est conscient (car les lois de la physique ne permettent pas de prédire les réactions d’un humain, d’un animal), le passé et le futur sont connu.
C’est le principe de déterminisme.
[5]
Rayon de Schwarzschild
Le rayon de Schwarschild est le rayon d’un trou noir dont la charge électrique et le moment cinétique (comprenez la vitesse de révolution) sont nuls.
Il est donné par la formule
R=(2GM)/(c^2)
Où R le rayon, G la constante de gravitation, M la masse du trou noir et c la vitesse de la lumière.
Voici la suite et deuxième partie (sur 3) de mon récit de SF, après une longue absence du forum (les études obligent).
Il est un peu moins documenté, mais ce n'est pas un problème je pense ^^.
En espérant que ça vous a plût, n'hésitez pas à commenter