Un moine, en robe de bure, la tête entièrement recouverte d’un capuchon qui ne laisse apparaître qu’une obscurité là où devrait se trouver un visage.
Il est massif, voûté à la façon de la maçonnerie d’une cathédrale. Mais immense, à la façon d’une cathédrale. Même ainsi, même presque plié en deux, il mesure plus de deux mètres. Combien ferait-il, s’il se tenait droit ?
Il est au bord d’une route de campagne, dans un virage, à l’extérieur et perpendiculaire à celui-ci… pour autant que l’on puisse être perpendiculaire par rapport à une courbe. Et son bras droit est levé, perpendiculaire à son corps, pour peu qu’un bras puisse être perpendiculaire à un corps voûté.
À sa main pendouille une vieille lanterne de fer forgé qui est éclairée. Mais sa lumière n’éclaircit pas l’obscurité. Elle n’ajoute rien aux ténèbres non plus : c’est une lampe, allumée, qui ne brille simplement pas.
Je poursuis ma route, et, lentement, arrive à sa hauteur. L’obscurité qui remplaçait son visage se fait moindre et je commence à distinguer quelque chose. Au début, cela donne l’impression d’un bec d’oiseau, puis d’un bec de médecin médiéval, tels ceux qu’ils portaient naguère afin de se préserver des miasmes des malades de la peste.
Mais il n’en est rien : je me suis rapproché davantage et désormais je vois que, dépassant de ce visage toujours dissimulé dans l’ombre dépasse une gueule de saurien. Longue, dentue, d’un vert grisâtre avec des crocs par-dessus les babines. Sa robe de bure est élimée, presque en lambeaux, elle semble avoir connu des siècles d’attente, ici, au bord de cette route que je connais bien.
Il ne bouge pas. Moi, j’avance encore.
Je le dépasse, et je me dois de faire un choix. Il oscille entre Lovecraft et Jung, entre la folie mystique et la folie rationaliste, entre deux chemins de vie : ou le surnaturel m’attend pas après pas, ou je sombre lentement dans la folie. Deux chemins de vie, pour un seul virage.
Ce jour-là, j’ai choisi, pour celle-là et les suivantes.