Bonjour ! Je poste ce texte dans l'espoir d'avoir des retours, avant de le soumettre à un appel à textes. S'il est retenu, je supprimerai le sujet puisque le texte sera publié dans un recueil.
J'ai mis une balise -12 parce que même si ça ne me semble pas nécessiter une -15, je ne le mettrais pas en tout public non plus.
Pour les intéressés, l'AT s'appelle TOUS AUX ABRIS et dure jusqu'au 31 décembre.#Drame-Tragédie #Amitié-Famille #Réaliste***
TOUT IRA BIEN
Ce fut le comportement du chien qui alerta d'abord Marie. Dionysos – non mais sérieux, qui appelait son chien Dionysos ? La jeune femme ne savait toujours pas ce qui était passé par la tête de sa mère – hurlait à la mort au milieu du jardin. Il n'était pas rare d'entendre le vieux cocker aboyer – la maison était située en bordure de forêt, et le chien donnait souvent de la voix quand il sentait l'odeur d'un sanglier ou d'un renard. En dépit de sa race, il n'avait pas été dressé pour la chasse, mais ça n'empêchait pas Dionysos de faire fuir les animaux sauvages !
Cela dit, ce que Marie préférait chez le chien, c'était son côté doux comme un agneau. Malgré son vieil âge, et bien que d'une race souvent considérée comme caractérielle, c'était un véritable aimant à enfants. Eux ne voyaient qu'une grosse peluche au bout d'une laisse, et ne perdaient pas une occasion de demander à le caresser. De temps en temps, la jeune femme faisait une surprise à son frère et emmenait Dionysos quand elle partait le récupérer à l'école. Max n'était jamais aussi fier que quand ses amis admiraient le cocker et le couvraient de câlins. Et le chien était loin de se plaindre, à en juger par la façon dont sa queue fouettait l'air – et le nombre d'enfants qui se faisaient récurer le visage !
Quoi qu'il en soit, c'était la première fois que Marie entendait l'animal hurler ainsi à la mort. S'interrompant dans son rangement, la jeune femme se dirigea vers la baie vitrée, rejointe par Max. Celui-ci avait également entendu Dionysos, ce qui l'avait poussé à sortir de sa chambre.
« Pourquoi il hurle comme ça ? demanda le garçon. On dirait qu'il a mal...
- Je ne sais pas, répondit-elle. Je vais aller le voir, peut-être que je peux le rassurer. »
Elle ouvrit la baie vitrée et fit quelques pas dehors. Un mouvement dans la périphérie de son champ de vision lui fit lever la tête : une nuée d'oiseaux volait au-dessus du jardin, semblant s'éloigner des arbres. La jeune femme commençait à s'inquiéter ; quelques oiseaux dans le ciel, ça n'avait rien d'exceptionnel, mais des dizaines à la fois ? Et qui allaient tous dans la même direction ? Elle n'était pas une experte en zoologie, mais elle en savait assez pour savoir que ce n'était pas normal. Plusieurs scénarios de film-catastrophes lui vinrent en tête, et elle regarda autour d'elle à la recherche d'une tornade. Mais il n'y avait pas de rafales de vent particulièrement fortes, encore moins un cyclone capable d'emporter une maison. Pas de fumée non plus, ce qui excluait un feu de forêt – moins impressionnant, mais tout aussi dangereux qu'une tornade, surtout pour leur maison en bordure du bois.
Est-ce que c'était son imagination, se demanda-t-elle en baissant les yeux, ou est-ce que le sol gonflait par endroits ? Marie sentit alors une légère secousse.
Et merde, pensa-t-elle.
J'aurais préféré un feu de forêt ; il aurait suffi de rejoindre le centre-ville. Quelle était la marche à suivre en cas de tremblement de terre, déjà ? Elle avait appris ça par cœur, à une époque... Si elle avait bonne mémoire, il fallait se mettre dans la plus petite pièce possible. Dans leur cas, c'était les toilettes, mais il y avait une fenêtre. Si elle se cassait, ils allaient se retrouver couverts de bouts de verre. La buanderie, alors ? Si elle pouvait dévisser l'ampoule assez vite, ils ne risqueraient pas les coupures. La jeune femme voulut faire volte-face, mais une pensée la frappa. Elle ne pouvait pas laisser Dionysos dans le jardin en plein tremblement de terre. Un arbre pouvait lui tomber dessus, ou il pouvait s'enfuir et avoir un accident... Le jardin était bien clôturé, justement pour éviter les fugues, mais avec le séisme, le grillage risquait d'être fragilisé.
« Dionysos, appela-t-elle. Viens, mon chien. »
L'animal cessa de hurler et tourna la tête vers elle. Marie répéta l'ordre.
« Viens, on rentre ! Viens te mettre à l'intérieur ! »
Le chien ne bougea pas, se contentant de l'observer. La jeune femme pesta intérieurement. Qu'est-ce qui pourrait bien inciter le cocker à la suivre ?
Du fromage, pensa-t-elle soudain.
Il adore le fromage. Elle hésitait cependant à le quitter des yeux ; elle avait la sensation irrationnelle que si Dionysos sortait de son champ de vision, ou qu'elle n'arrivait pas à le faire rentrer, il arriverait une catastrophe. Sans se retourner, elle lança à son frère :
« Max. Va dans la cuisine chercher le roquefort, et ensuite va dans la buanderie. Quand tu seras là-bas, appelle le chien en lui promettant du fromage.
- Pourquoi ? demanda le garçon. Tu vas faire quoi, toi ?
- Je vais surveiller qu'il ne se sauve pas, répondit-elle. »
Ce n'était qu'une demi-vérité, mais la jeune femme ne voulait pas faire paniquer l'enfant en lui annonçant que c'était un tremblement de terre. Après quelques secondes – qui s'écoulèrent comme des heures aux yeux de Marie – la voix du garçon retentit à l'intérieur de la maison.
« Dionysos, fromage ! »
Max eut même la présence d'esprit de secouer le paquet de croquettes pour faire bonne mesure. La jeune femme faillit pleurer, cependant, quand le chien resta planté au même endroit. Sans perdre une seconde, elle se pencha et l'attrapa par son harnais. Ignorant les protestations de l'animal, Marie commença à le traîner vers la maison. Allez savoir combien de temps il leur restait avant les premières grosses secousses ; elle ne pouvait pas prendre le risque d'attendre qu'il bouge de lui-même.
Lorsqu'elle arriva enfin à rejoindre son frère dans la buanderie, la jeune femme lui demanda :
« Max, ferme toutes les portes. Celle de la cuisine, celle de la salle de bains des parents, et celle de leur chambre. Il ne faut pas que Dionysos puisse s'en aller.
- Qu'est-ce qui se passe, Marie ? demanda le petit garçon.
- Il y a un tremblement de terre qui arrive, répondit-elle. Et pour que les animaux réagissent comme ça, ça doit être un gros. »
Comme pour prouver ses dires, un miaulement se fit entendre dans son dos. Le chat, qui habituellement ne supportait pas la présence de Dionysos, était blotti dans sa cage, entre la machine à laver et le sèche-linge. Le félin les regardait avec de grands yeux jaunes.
« C'est vrai que tu es là, toi, dit Marie. Heureusement que le vétérinaire t'a privé de sortie pendant une semaine, parce que j'aurais été bien en peine de te trouver. Je me demande pourquoi maman a mis ta cage ici, par contre...
- Il aurait été mieux dans le salon, dit Max en revenant, sa tâche accomplie. Il aurait été avec tout le monde, comme ça.
- Je sais, acquiesça la jeune femme. Mais on ne peut pas vraiment se plaindre, pas vrai ? S'il avait été dans le salon, il serait resté tout seul pendant le tremblement de terre. Trop dangereux d'aller chercher sa cage... »
Dionysos se coucha sur le sol, fixant le chat. Marie s'assit à son tour, adossée au mur, et fit signe à son frère d'en faire autant.
« Il ne faut pas qu'on sorte de là avant que le séisme soit fini, dit-elle. Autant dire qu'on en a pour un moment, alors autant s'asseoir.
- Et papa et maman ? demanda soudain le petit garçon. Comment ils vont faire pour se mettre à l'abri du tremblement de terre ?
- Maman est à l'école, dit Marie d'un ton rassurant. Les gens qui travaillent là-bas reçoivent une formation, pour gérer ce genre de problème. Et les écoles sont toujours construites avec des endroits sûrs où se réfugier, c'est obligatoire.
- Mais papa, il n'est pas à l'école. Il est dans la rue, il relève des compteurs. Comment il va se mettre en sécurité ?
- Il va sonner chez les gens, et demander s'il peut rester chez eux en attendant que ça passe, répondit-elle. Il y aura forcément quelqu'un pour lui ouvrir, personne ne va le laisser dehors pendant un tremblement de terre. Ne t'inquiète pas, maman et ton papa iront bien. »
En tout cas je l'espère, ajouta-t-elle intérieurement, tandis que les secousses augmentaient en intensité.
***
Marie ne savait pas depuis combien de temps ils étaient là. Le sol continuait de trembler, plus fort à chaque secousse. Max ne cessait de jeter des regards au plafond, comme s'il craignait qu'il s'effondre sur eux. De son côté, la jeune femme se repassait en boucle tous les reportages télévisés qu'elle avait vus, sur de graves séismes dans différentes parties du globe. S'ils se retrouvaient ensevelis, combien de temps faudrait-il pour qu'on vienne les chercher ? Est-ce qu'ils ne mourraient pas de faim ou de soif d'abord ? Pour la faim, il y avait toujours les croquettes et la pâtée des animaux – qui auraient un goût immonde, mais si c'était une question de vie ou de mort... Mais pour la soif ? Même si l'accès à la salle de bains des parents n'était pas bloqué, la tuyauterie ne marcherait sûrement plus...
Une autre idée lui parvint, guère plus rassurante : Et si personne ne venait les chercher, parce que personne ne savait qu'ils étaient là ? Après tout, elle ne savait pas si sa mère s'en était sortie, ni son beau-père. Si aucun des deux ne survivait, ou n'était en état de faire savoir qu'ils étaient là, personne ne saurait qu'il y avait deux personnes à sauver ici... Ils pourraient rester coincés sous les gravats pendant des jours, mourant lentement de soif... Ou est-ce qu'ils mourraient étouffés d'abord ? Qu'est-ce qui venait en premier, la déshydratation ou le manque d'oxygène ?
Marie fut tirée de ses pensées lugubres par la question de Max.
« Quelle heure il est ?
- Je ne sais pas, répondit-elle.
- Tu peux pas regarder sur ton portable ? »
Ce n'était pas la première fois qu'il lui demandait d'utiliser son téléphone. Jusqu'ici la réponse n'avait pas changé.
« Je préfère économiser la batterie, au cas où il y aurait une urgence, expliqua la jeune femme pour ce qui lui sembla la centième fois.
- Mais ça utilise pas beaucoup de batterie de regarder l'heure !
- C'est vrai, dit-elle. Mais je te connais ; si je le fais une fois, tu voudras que je le fasse à chaque fois. Donc un peu de batterie, plus un peu de batterie, plus encore un peu de batterie, ça s'accumule, tu comprends ? Et de quoi on aura l'air, après, si on a besoin d'appeler les secours, et qu'il n'y a plus de batterie parce qu'on voulait vérifier l'heure ?
- Les secours ? Pourquoi on aurait besoin d'appeler les secours ? Tu as dit qu'on devait juste attendre la fin du tremblement de terre !
- Parce que plus les secousses sont fortes, plus la maison risque de s'effondrer, au moins en partie, répondit-elle. Et si on se retrouve bloqué, il faudra bien appeler les secours pour qu'on nous sorte de là. »
Max resta silencieux quelques minutes, puis dit d'une petite voix :
« Je voudrais que maman soit là... »
Jetant un regard à son frère, Marie s'aperçut que celui-ci pleurait. Apparemment, elle ne fut pas la seule à s'en rendre compte ; Dionysos, qui était resté silencieux jusqu'à maintenant, se leva pour aller donner de grands coups de langue au petit garçon. Le chat, jusqu'à présent tapi dans l'ombre, se plaça de façon à poser ses yeux perçants sur la jeune femme. On aurait dit qu'il lui adressait un regard de reproche.
Génial, pensa-t-elle.
Même les animaux m'en veulent. Elle prit une grande inspiration et essaya de répondre avec patience.
« Moi aussi, je voudrais qu'elle soit là. Et si je pouvais le faire sans gaspiller la batterie, je lui téléphonerais pour être sûre qu'elle va bien. Mais c'est important de l'économiser. Est-ce que tu comprends pourquoi ?
- Non, avoua Max en reniflant.
- Alors je vais mieux t'expliquer. Mais je veux que tu me promettes de ne pas paniquer, d'accord ? Si je te traite comme un grand, il faut que tu te comportes comme un grand.
- C'est promis, jura l'enfant en s'essuyant le nez avec sa manche. »
Marie préféra ignorer les mauvaises manières ; ce n'était pas le moment de lui faire la leçon pour ça.
« Tu as déjà vu à la télé, les reportages sur les gros tremblements de terre ?
- Un peu, dit le garçon.
- Tu te souviens, parfois les maisons s'effondrent et les gens restent coincés dessous plusieurs jours ?
- Oui, et les secouristes viennent les chercher.
- C'est ça ; mais parfois, ils ont du mal à trouver où sont les gens. Donc, si la maison s'écroule comme dans les reportages, il faut que je puisse appeler les pompiers, pour leur dire où nous chercher. On n'avait pas prévu qu'il y aurait un tremblement de terre, tu comprends ; donc on n'a pas pu stocker de l'eau ou de la nourriture au cas où on resterait coincé. Et si on est dans un espace très petit, l'air ne pourra pas se renouveler assez vite. Donc si on reste trop longtemps sans que quelqu'un vienne nous chercher, on ne pourra pas boire, et au bout d'un moment, pas respirer. C'est pour ça qu'il faudra que j'appelle les secours, dès que tout sera fini. Tu comprends maintenant ? »
Les yeux écarquillés, l'enfant hocha la tête.
« Oui. Pardon de t'avoir demandé d'utiliser ton portable. »
En voyant la peur dans le regard de son demi-frère, la jeune femme regretta de lui avoir parlé si franchement. Elle tenta de le rassurer.
« Tu sais, il y a peu de chances qu'on en arrive là. C'est juste au cas où ; si ça se trouve, quand le tremblement de terre sera fini, on pourra sortir et on ira retrouver maman à l'école !
- Et on ira boire du chocolat chaud ?
- Oui, du chocolat chaud bien sucré, si ça peut te faire plaisir, promit Marie. On emmènera même Dionysos. »
Alors qu'elle finissait sa phrase, une nouvelle secousse se fit sentir, plus forte que jamais.
Et merde, pensa la jeune femme.
Je commençais juste à rassurer Max... Terrifié, le petit garçon se jeta dans les bras de sa sœur. Celle-ci le serra très fort contre elle, cachant le visage de l'enfant dans son cou.
« Tout va bien, murmura-t-elle. Tout va bien, c'est bientôt fini... »
Tu n'en sais rien, susurra une voix perfide dans sa tête.
Un tremblement de terre, ça peut avoir des répliques pendant plusieurs heures. Si ça se trouve, vous serez encore là demain matin... Elle pouvait difficilement avouer ça au petit garçon effrayé, cela dit, n'est-ce pas ?
À cet instant, un bruit sourd retentit derrière la porte de la cuisine ; un bruit qui ressemblait à celui d'une chute. Il fut suivi de plusieurs autres, tous similaires. Max releva la tête, et échangea un regard alarmé avec sa sœur. La maison était-elle en train de s'effondrer ?
Marie attendit la fin de la secousse pour aller ouvrir la porte. Celle-ci s'avéra impossible à pousser, et la jeune femme jura mentalement. L'éboulis s'était produit juste derrière ; il n'y aurait aucune issue possible de ce côté-là. Elle se retourna vers son frère.
« La porte est bloquée, dit-elle. Je pense qu'une partie des murs s'est effondrée.
- Pourquoi forcément les murs ? Le plafond aussi a pu tomber.
- Le plafond n'est pas assez épais pour bloquer complètement la porte, expliqua l'aînée. Non, c'est sûrement les murs. Ou alors un meuble qui s'est renversé, mais vu le bruit que ça a fait, je pense plutôt aux murs.
- Comment on va sortir, alors ? demanda Max.
- On n'en est pas là, répondit-elle. Pour l'instant on est plus à l'abri ici que dehors.
- Oui mais quand ce sera fini ?
- Je ne sais pas, avoua Marie. Ça dépendra de l'état de la maison. Si on peut atteindre une fenêtre, je te ferai la courte échelle pour sortir. Sinon, il faudra qu'on attende que quelqu'un vienne enlever les débris. »
Le ton péremptoire de son aînée réduisit l'enfant au silence. Quand elle réalisa que les animaux ne s'étaient pas fait remarquer depuis un moment, la jeune femme jeta un regard en direction du chat. Celui-ci était presque invisible, dissimulé dans l'ombre de sa cage. Max regarda dans la même direction.
« Tu crois pas qu'on pourrait faire sortir Neo de sa cage ? demanda-t-il. Il risque pas de se sauver, tout est fermé...
- Il vaut mieux qu'il reste là, refusa Marie. L'idée, c'est de se mettre dans l'espace le plus petit possible. Tu trouveras difficilement plus petit que sa cage, dans la buanderie. À moins de l'enfermer dans le lave-linge, plaisanta-t-elle. Et Dionysos, il est où ? »
Elle regarda autour d'elle, et trouva le cocker allongé entre le lave-linge et le sèche-linge. Le vieux chien avait les yeux fermés et semblait assoupi. L'enfant plaça les poings sur ses hanches dans une imitation de leur mère, incrédule.
« Mais comment tu fais pour dormir dans un moment pareil, toi ? Tu devrais pas être complètement affolé, comme tout à l'heure ?
- Des fois, je m'interroge sur l'instinct de survie de ce chien, commenta Marie. »
Une lueur d'espoir traversa le regard de son frère.
« Si ça se trouve, ça veut dire que c'est fini et qu'on peut sortir ? »
Comme pour lui répondre, le sol recommença à trembler. Le visage de l'enfant s'assombrit.
« Ou pas, conclut-il tristement. »
Une main sur le mur, pour ne pas perdre l'équilibre, la jeune femme commença à le rejoindre à petits pas.
« C'est bizarre, dit-elle. Je ne sais pas si c'est parce que je suis debout, mais j'ai l'impression que ça tremble moins fort que la dernière fois... Pas beaucoup, hein, mais un peu.
- Tu crois ? demanda le petit garçon avec espoir.
- Attention, je ne dis pas que c'est la dernière ou même qu'on approche de la fin, avertit Marie. Je me trompe peut-être, d'ailleurs. C'est juste une...
- Attention ! »
Elle s'immobilisa, juste à temps pour voir un gros morceau de plâtre tomber devant ses pieds – à l'endroit où elle se serait trouvée si elle avait fait un pas de plus. Levant la tête, la jeune femme remarqua une série de fissures dans le plafond et grimaça. Ça allait rendre l'attente plus dangereuse, ça.
« Bon, dit-elle. À partir de maintenant, on ne bouge plus d'ici. On reste assis là jusqu'à ce que tout soit fini. »
Le petit garçon hocha la tête, et vint se blottir contre elle quand elle s'installa à côté de lui. La jeune femme lui déposa un baiser sur les cheveux.
« Ne t'inquiète pas, dit-elle. Je suis sûre qu'il n'y en a plus pour longtemps. »
***
Plus pour longtemps, mon œil, pensa-t-elle une heure plus tard, tandis qu'une énième réplique ébranlait la maison. Pendant ce laps de temps, ils avaient pu établir que les secousses étaient de plus en plus espacées ; mais le délai augmentait de façon infime à chaque fois, si bien qu'il était impossible de savoir quand ça s'arrêterait pour de bon.
« Marie, j'ai faim, annonça Max d'une petite voix. »
L'aînée ferma les yeux, se retenant de lever les bras au ciel en demandant
pourquoi moi. La maison s'effondrait autour d'eux tellement le sol tremblait fort, le moindre pas hors de leur abri de fortune risquait de leur valoir un morceau de plafond sur le crâne, et lui, il se plaignait d'avoir faim.
« Tu trouves vraiment que c'est le moment ?
- Mais c'est vrai !
- Je ne dis pas le contraire, mais je n'y peux rien. Je ne sais pas faire apparaître de la nourriture par miracle, tu vois. Par contre, si toi tu connais un tour de magie, ça m'intéresse, plaisanta-t-elle.
- Non, mais... Il y a des biscuits dans le couloir... »
Cette fois, Marie dut réprimer l'envie de se frapper la tête contre le mur.
« Je suppose que tu parles du couloir où j'ai failli me faire assommer par le plafond en train de tomber ?
Ce couloir ?
- Mais on n'a pas vu d'autres morceaux tomber depuis ! Et j'ai vraiment faim ! »
Pourquoi fallait-il qu'il ait faim maintenant, se lamenta mentalement la jeune femme.
« Il y a une heure, j'ai dit qu'on ne bougeait plus d'ici tant que le tremblement de terre ne serait pas fini. Est-ce que tu as l'impression que c'est fini ? »
L'enfant se renfrogna et marmonna quelque chose qui ressemblait beaucoup à
j'avais pas faim, il y a une heure.
« Je peux y aller si tu as peur, proposa-t-il avec un sourire en coin. »
Marie réprima un sourire amusé. Est-ce que le petit garçon venait
vraiment de tenter ça sur elle ?
« Ça marche peut-être avec les autres enfants, ce genre de défi, mais pas avec moi, répondit-elle calmement. Je te propose un marché : si tu attends la fin de la secousse, j'irai voir ce que je trouve dans la boîte à biscuits. Mais pour l'instant, tu ne vas pas les chercher, c'est trop dangereux. Est-ce que ça te va ?
- Oui, Marie, dit l'enfant d'un ton docile. »
Trop docile, estima la jeune femme en étrécissant les yeux. Ça cachait quelque chose, ça ; Max ne renonçait
jamais aussi vite quand il voulait quelque chose.
Effectivement, quelques instants plus tard, le garçon se leva d'un bond et partit en courant dans le couloir, avant que sa grande sœur n'ait le temps de l'attraper. Étouffant une envie de l'étrangler, la jeune femme se leva à son tour. Avant qu'elle ne puisse le rejoindre, cependant, Max revint, les bras chargés de nourriture et un sourire jusqu'aux oreilles malgré la secousse qui le faisait vaciller sur place.
Marie croisa les bras sur sa poitrine, une expression sévère sur le visage.
« Je croyais qu'on avait passé un marché. Je t'avais promis d'aller chercher des biscuits à la fin de la secousse, tu ne pouvais pas attendre un peu ?
- Si, répondit-il joyeusement. Mais je t'ai obéi ; je suis allé chercher des compotes à boire, pas des biscuits ! »
Effectivement, les bras du garçon étaient chargés de compotes. La jeune femme dut réprimer son amusement devant cette démonstration de rhétorique. Il avait raison, ses paroles pouvaient être interprétées comme ça ; son frère ne manquait pas d'intelligence. Cependant, il fallait qu'il comprenne que ce qu'il venait de faire était dangereux.
« Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es, dit-elle fermement. Je sais que tu avais très bien compris ce que je voulais dire. C'est trop dangereux d'aller dans le couloir en pleine secousse, maintenant que le plafond peut s'effondrer.
- Mais il s'est pas effondré, donc tout va bien ! conclut gaiement Max avant de s'asseoir. »
Marie cligna des yeux, incrédule. Est-ce que son frère venait vraiment d'ignorer sa réprimande ? C'était une première, ça. Bouder, désobéir, oui ; ça lui arrivait souvent, même – il avait huit ans, après tout. Mais il n'avait encore jamais complètement ignoré les adultes quand il se faisait gronder.
Encore sous le coup de la surprise, la jeune femme observa l'enfant ouvrir une compote et commencer à la boire. Quelques secondes plus tard, cependant, elle se secoua.
« Maxime Lucas Bertrand ! »
Max sursauta, lâchant son butin au passage. Sa sœur ne l'appelait jamais par son nom complet.
« Quand je te dis de ne pas aller quelque part, tu ne t'amuses pas à jouer sur les mots, tu n'y vas pas ! Le plafond ne s'est pas effondré, tant mieux, mais tu n'avais aucun moyen de le savoir en y allant ! Tu te rends compte que tu aurais pu te faire assommer ? Ou pire ? En recevant un bout de plafond sur la tête au mauvais angle, tu peux très bien te faire tuer ! »
Le petit garçon la regardait avec des yeux écarquillés. Même en l'entendant crier, le chien ne s'était pas réveillé, remarqua-t-elle distraitement. Elle soutint le regard de son frère pendant quelques instants, puis l'enfant baissa la tête.
« Pardon, Marie, murmura-t-il d'un ton penaud. Je le ferai plus. »
Un trémolo dans la voix de son frère alerta la jeune femme qu'il était sur le point de pleurer. Elle s'adoucit, et s'assit à côté de lui avant de l'attirer dans ses bras.
« Excuse-moi d'avoir crié, dit-elle. Mais tu m'as fait très peur en allant là-bas comme ça, tu comprends ? Qu'est-ce que j'aurais fait, si tu t'étais fait assommer, moi ? Je ne peux pas appeler les pompiers pour t'emmener à l'hôpital, ils ne viendront pas tant que ce n'est pas fini. Et je n'ai rien ici pour te soigner si tu es gravement blessé.
- Pardon, répéta le petit garçon d'une voix étouffée. J'avais faim et je voulais pas attendre...
- Je comprends, dit la jeune femme en lui caressant les cheveux. Et toi, tu comprends pourquoi j'ai eu peur ? »
L'enfant hocha la tête, et s'apprêtait à répondre quand un énorme bruit sourd, accompagnant la fin de la secousse, les fit soudain sursauter. Le chat se remit à miauler, comme s'il était blessé.
« Neo ? Qu'est-ce qu'il y a, mon grand ? demanda Max. »
Il s'accroupit devant la cage, et ouvrit la grille pour vérifier s'il ne s'était pas fait mal. À peine la porte ouverte, le félin partit en courant en direction de la chambre de leurs parents, poussant la porte mal refermée, et disparut.
« Neo ! appela Max d'un ton inquiet. »
Il se tourna vers sa sœur :
« Pourquoi il est parti ? C'est dangereux là-bas !
- On va agiter son paquet de croquettes, ça va le faire revenir, dit-elle d'un ton qui se voulait rassurant. Tu sais bien que c'est un goinfre, ce chat. Il ne résiste jamais à l'appel de la nourriture. »
La jeune femme se rapprocha du lave-linge et tendit le bras, attrapant la nourriture de Neo avant de la secouer légèrement. Elle regarda en direction du couloir, mais le félin ne réapparut pas. Elle remua plus vigoureusement la boîte, sans résultat.
Au même moment, une nouvelle secousse se fit sentir, accompagnée de la chute de plusieurs morceaux de plâtre.
« Je vais le chercher, dit Max.
- Ça ne va pas la tête ? Tu restes ici ! »
Le garçon sembla hésiter, jusqu'à ce qu'un miaulement retentisse dans la chambre. Cette fois l'enfant partit comme une flèche dans cette direction, ignorant les appels de sa sœur.
« Et merde ! jura la jeune femme. Je peux pas le laisser tout seul, maman ne me le pardonnera jamais s'il lui arrive quelque chose... »
Maudissant l'inconscience de son cadet, Marie s'élança à son tour vers la chambre de leurs parents, slalomant pour éviter les débris qui tombaient du plafond. Ouvrant grand la porte, elle trouva son frère allongé devant le lit. Les fesses tournées vers le haut, la partie supérieure du corps cachée sous le meuble, il essayait de convaincre le chat de sortir.
Incapable de se retenir, la jeune femme envoya un coup de pied bien senti dans le derrière exposé.
« Ouille ! »
Maxime, en sursautant, s'était cogné la tête contre le sommier.
« Sors de là tout de suite, intima sa sœur aînée. Je peux savoir ce qu'il te prend ?
- J'essaye d'attraper Neo ! répondit l'enfant sans bouger de sa position.
- Même si tu réussis, il est tellement paniqué qu'il va juste te griffer les mains et les bras, jusqu'à ce que tu le lâches. Neo ne risque rien sous le lit ; nous, par contre, on ne peut pas en dire autant !
- Pourquoi lui, il risque rien et pas nous ? C'est pas logique ce que tu dis ; ça devrait être pareil pour tout le monde !
- Parce que lui, il peut rentrer complètement sous le lit et se faire tout petit. Toi, tu arrives à peine à y ramper – et la moitié de ton corps ne passe pas ! Et moi, je suis trop grande ne serait-ce que pour y passer autre chose que ma tête.
- Mais... »
Fatiguée d'argumenter, Marie se pencha en avant, agrippa les chevilles de son frère, et tira brusquement pour le sortir de là.
« Hé !
- Vu que tu ne veux pas sortir tout seul, il faut bien que je te fasse sortir moi-même !
- Arrête ! »
Il commença à se débattre, agitant les jambes pour se dégager ; s'il donnait un coup de pied à sa sœur au passage, ce serait juste un bonus. Marie avait la force d'une adulte, cependant, ce qui lui donnait un avantage sur le petit garçon. Elle mit plus de temps, mais elle finit par réussir à l'extirper de sous le lit. Elle lui lâcha les jambes avec l'intention de lui saisir le poignet pour le relever ; mais l'enfant s'avéra plus rapide. En effet, elle avait à peine relâché sa prise qu'il retournait sous le lit, passant cette fois les jambes en même temps que les bras, pour qu'elle ne puisse plus les attraper. Marie commença à paniquer, luttant pour garder l'équilibre malgré les secousses.
« Tu vois que je rentre complètement ! dit-il d'un ton triomphal.
- Je vois surtout que tu nous mets encore plus en danger en t'obstinant à rester ! s'énerva la jeune femme. Alors maintenant tu vas me faire le plaisir de sortir de là et de revenir avec moi dans la buanderie !
- Quand j'aurai récupéré Neo ! s'obstina le petit garçon d'une voix étouffée. »
Marie leva les bras au ciel, implorant quiconque l'écoutait à cet instant de lui accorder la patience. Ce fut le moment que choisit le chat, dérangé par les tentatives du petit garçon de l'attraper, pour sortir du lit et sauter vers un autre meuble. Lentement, pour ne pas affoler davantage le félin, la jeune femme s'approcha et le prit dans ses bras. Tout en le caressant pour essayer de le calmer, elle appela son frère.
« Max, c'est bon, je l'ai attrapé, ton chat. Tu peux sortir, maintenant. »
Le regard fixé sur le lit, elle n'aperçut pas le morceau de plâtre sur le point de tomber qui se situait juste au-dessus de sa tête. Elle ne le vit pas non plus se détacher du plafond, et fut incapable d'éviter le contact avec sa tête.
Sous le lit, Maxime entendit un bruit de chute et tourna la tête. Sur le sol, à côté du meuble, sa sœur était allongée et immobile.
« Marie ? Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il. »
La jeune femme ne répondit pas.
« Si c'est pour me faire sortir, ça marche pas, prévint l'enfant. »
Toujours aucune réponse, aucun mouvement qui trahirait que sa sœur l'avait entendu. Avec méfiance, le petit garçon rampa vers le bord et sortit la tête pour voir de plus près. Marie avait les yeux fermés, et du sang qui coulait sur un côté de la tête. L'enfant écarquilla les yeux et s'empressa de sortir pour la rejoindre. S'agenouillant à côté de sa sœur, il la secoua.
« Marie, réveille-toi ! »
Aucune réaction. La jeune femme n'ouvrit pas les yeux, ne bougea pas.
« T'es morte ? demanda-t-il bêtement. »
En regardant de plus près, il s'aperçut que sa sœur respirait. Elle n'était pas morte, alors. Elle avait dû se faire assommer par quelque chose. Distraitement, il s'aperçut que Neo n'était nulle part en vue dans la chambre ; mais pour l'instant, il s'en fichait un peu.
Désespéré, le petit garçon regarda autour de lui, cherchant une idée pour aider son aînée. Il savait qu'il existait quelque chose que les grands appelaient les 'gestes de premiers secours', mais il n'avait aucune idée de ce que ça pouvait bien être... Faute d'une meilleure idée, il fouilla les poches de la jeune femme jusqu'à ce qu'il trouve son téléphone. Marie avait dit de ne pas l'utiliser avant la fin du tremblement de terre... Mais là c'était une urgence... Il fallait bien qu'il appelle les secours pour venir aider sa sœur... C'était quoi, déjà, le numéro à appeler quand il y avait un accident ? Il avait appris ça, à l'école...
« Le 18 ! s'exclama-t-il. »
Il composa le numéro, mais tomba sur un message lui annonçant que toutes les lignes étaient occupées. En désespoir de cause, il téléphona à leur mère... pour tomber sur le répondeur.
« Maman, faut que tu rentres à la maison ! Marie est tombée, j'arrive pas à la réveiller, et les pompiers répondent pas au téléphone ! »
En raccrochant le téléphone, la réalité de sa situation le frappa de plein fouet. Il ne pouvait pas sortir de la maison, parce que la porte était bloquée et les fenêtres trop hautes pour lui. Il n'arrivait pas à appeler les pompiers, ni sa maman. Sa sœur était la seule adulte avec lui, et maintenant elle était blessée à cause de lui et elle allait peut-être mourir. Il était tout seul, en plein tremblement de terre.
Sous l'impuissance, l'angoisse et le désespoir, le petit garçon fondit en larmes.
***
Pendant les heures qui suivirent, Max ne quitta pas sa sœur. Il essaya régulièrement de la réveiller, ou d'avoir quelqu'un au téléphone. Son père, sa mère, les pompiers, personne ne répondait. Neo avait fini par réapparaître, et s'était roulé en boule contre Marie. Entre ça et l'absence prolongée de secousses, l'enfant avait fini par comprendre que la catastrophe était terminée.
Il avait, une nouvelle fois, essayé de réveiller sa sœur pour lui annoncer la bonne nouvelle – en vain. Il hésitait à escalader un meuble pour pouvoir atteindre la fenêtre la plus proche, mais en faisant cela, il risquait de tomber et se blesser à son tour. Et si lui aussi s'assommait, il n'y aurait personne pour appeler les secours et dire où ils étaient.
Un nouveau coup d’œil au téléphone de sa sœur lui indiqua qu'il était 6 heures du soir. Dionysos avait commencé à hurler vers 11 heures du matin – en tout cas, c'était ce que disait l'ordinateur quand il avait entendu le chien. Ils étaient là depuis sept heures... et il ne savait pas du tout à quelle heure Marie avait été assommée. Il n'avait pas pensé à regarder l'heure quand il avait appelé les pompiers pour la première fois.
Un bruit à la fenêtre le fit sursauter et lever la tête. Il aperçut un visage de femme blonde derrière la vitre, et reconnut la voisine.
« Tu vas bien, petit ? demanda-t-elle. Il ne faut pas rester ici, tu sais. Ça pourrait s'effondrer.
- Je peux pas sortir parce que la fenêtre est trop haute, expliqua l'enfant. Et la porte de la cuisine est bloquée par des pierres. Et ma sœur a été assommée à cause d'un bout de plafond. »
Un autre visage, masculin, apparut à son tour.
« Tu veux qu'on t'aide ? On ne pourra pas débloquer la porte à nous deux, mais on peut casser la vitre pour te faire sortir...
- Et Marie ? J'arrive pas à la réveiller, et ça fait longtemps qu'elle est assommée. Elle va pas pouvoir sortir, elle.
- Tu as essayé d'appeler les secours ? demanda la voisine.
- Oui, mais ça répond pas ! »
L'homme recula de quelques pas pour évaluer la taille de la fenêtre.
« Si j'arrive à casser la vitre, dit-il à sa compagne, tu dois pouvoir passer et rejoindre le gosse. Si tu arrives à soulever sa sœur et à me la faire passer, je pourrai la porter pendant que tu fais sortir le petit. Je préférerais éviter qu'on reste là trop longtemps ; on ne sait pas ce qui risque de nous tomber dessus, ni dans quel état est la maison.
- Je vais dire au gamin de reculer, alors, dit la femme. Ce serait dommage qu'il reçoive des éclats de verre. »
Son compagnon hocha la tête, et elle alla expliquer leur idée à Max.
« Petit, il faut que tu recules jusqu'au mur, dit-elle. Mon ami, Olivier, il va casser la vitre pour que je puisse te rejoindre et faire sortir ta sœur. Mais on ne veut pas que tu sois blessé par un bout de verre, d'accord ?
- Et Marie ? Elle risque pas d'en recevoir, des bouts de verre ?
- Tu n'as qu'à tirer le drap sur elle, proposa la voisine. Comme ça, elle sera protégée aussi. »
Le petit garçon réfléchit quelques instants, puis hocha la tête. Enlevant le grand drap du lit de ses parents, il fit de son mieux pour en recouvrir sa grande sœur avant de reculer jusqu'au mur. Quelques instants plus tard, une brique passa à travers la vitre, envoyant effectivement des éclats de verre jusque sur le drap. Armé d'un marteau, Olivier cassa les parties qui étaient encore sur le cadre, afin d'éviter que quelqu'un se blesse. Dès qu'il eut terminé, la voisine passa les jambes à l'intérieur, sautant pour atteindre le sol. Elle sourit à l'enfant.
« Salut. Comment tu t'appelles ?
- Maxime Bertrand, dit-il en reniflant.
- Enchantée, Maxime, dit-elle avant de s'agenouiller auprès de sa sœur. Moi c'est Coralie. »
Elle fronça les sourcils en plaçant les doigts dans le cou de la jeune femme blessée. Son pouls était très faible, il fallait l'emmener très vite à l'hôpital. Plaçant un bras sous sa nuque et l'autre sous ses genoux, Coralie souleva la blessée et l'emmena jusqu'à la fenêtre où l'attendait Olivier.
« Dépêche-toi de l'emmener à la voiture, dit-elle à mi-voix. Elle n'a presque plus de pouls, il lui faut des soins très vite. »
Quand le transfert du corps fut terminé, la femme blonde se tourna vers Max.
« À ton tour, maintenant, dit-elle.
- Attendez ! dit-il soudain. Il faut qu'on prenne mon chien, aussi ! Il est là-bas, dans la buanderie ! »
Sans laisser le temps à la voisine de dire un mot, il se précipita dans le couloir pour aller chercher Dionysos. Pensant qu'il allait chercher une peluche, elle suivit le petit garçon avec un soupir et le trouva à genoux, essayant de réveiller un vieux cocker. Coralie fronça les sourcils ; aussi vieux soit-il, ce n'était pas normal qu'un chien ait dormi pendant un tremblement de terre.
« Viens, Dionysos, disait Max. On va sortir de la maison et on va te réchauffer. Tu es tout froid. »
Oh. La femme se mordit la lèvre ; elle allait devoir expliquer à un petit garçon que son chien était mort. Comme si le gosse n'était pas déjà assez traumatisé. Elle alla s'agenouiller auprès de lui, et vérifia la respiration du chien par mesure de prudence. Cela ne fit que confirmer ce qu'elle avait deviné : le pauvre animal était mort, probablement depuis plusieurs heures.
« Comment tu as fait pour empêcher ce chien de s'enfuir ? Les animaux ne restent jamais sur place quand il y a un tremblement de terre, normalement...
- Il était en train de hurler dans le jardin, expliqua l'enfant. C'est comme ça qu'on a su qu'il y avait un problème. Marie ne voulait pas le laisser dehors, parce qu'il y a des arbres qui auraient pu lui tomber dessus. Alors elle l'a attrapé et elle l'a traîné ici, et ensuite on a fermé toutes les portes. »
Coralie grimaça au-dessus de la tête du garçon. La jeune femme avait sans doute cru bien faire, mais l'angoisse de rester enfermé en plein tremblement de terre avait probablement causé une crise cardiaque au vieux chien. Il aurait mieux valu le laisser se sauver, et partir à sa recherche ensuite...
« Écoute, Max... Je suis désolée de te dire ça, mais ton chien... Il ne va pas se réveiller.
- Mais... mais si, il faut qu'il se réveille ! protesta le petit garçon. Je peux pas le laisser là, vous avez dit que c'était dangereux ! »
Coralie lui posa une main sur l'épaule.
« Il ne va pas se réveiller, parce qu'il est mort. Et s'il est froid, ça veut dire qu'il est sûrement mort depuis plusieurs heures.
- Non ! »
Max se dégagea dans un geste brusque, et se retourna pour la fusiller du regard, les yeux pleins de larmes.
« Dionysos peut pas être mort ! Il y a déjà Marie qui va peut-être mourir, Dionysos peut pas mourir aussi !
- Qu'est-ce qui te fait croire que ta sœur va mourir ? On va l'emmener à l'hôpital et ils vont la soigner, dit la voisine d'un ton qui se voulait rassurant.
- Parce que ça fait des heures qu'elle est assommée et qu'elle se réveille pas. Je suis pas idiot, je sais que c'est un super mauvais signe.
- Tu as raison, c'est mauvais signe, acquiesça-t-elle. Mais plus vite on ira à l'hôpital, plus elle aura de chances d'être soignée. Et pour ça, il faut que tu laisses ton... Dionysos ici. »
Sur le visage du petit garçon, le refus de croire que son animal était mort luttait contre le désir d'aider sa sœur ; il finit par baisser la tête et se lever.
« D'accord, dit-il d'une petite voix. Je viens avec vous. »
Il laissa Coralie lui prendre la main pour le ramener dans la chambre, puis le soulever afin de le faire passer par la fenêtre. Tandis que la voisine sortait à son tour, Olivier demanda :
« Au fait, petit, tu n'as pas de parents à prévenir ?
- Si, mais ils répondent pas quand j'essaye de les appeler.
- Où est-ce qu'ils travaillent ? intervint Coralie en se dirigeant vers une voiture garée à quelques mètres. Les lignes téléphoniques sont sûrement saturées, mais on doit pouvoir t'emmener les retrouver...
- Papa est électricien, je sais pas où il devait aller aujourd'hui exactement, expliqua l'enfant.
- D'accord, et ta maman ? Qu'est-ce qu'elle fait ?
- Elle travaille à l'école... Vous pouvez m'emmener à l'école ? Quand on aura emmené Marie à l'hôpital ? »
Les deux adultes échangèrent un regard, mal à l'aise. D'un signe de tête, Coralie fit comprendre à son compagnon que c'était à lui d'annoncer la mauvaise nouvelle.
« Écoute, petit... Il faut que je te dise un truc...
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Max en levant immédiatement la tête.
- L'école... On est passé devant en venant ici. On n'était pas là pendant le tremblement de terre, c'est Cora qui a voulu venir voir les dégâts. Bref, donc on est passé devant l'école, et, euh...
- Elle s'est complètement effondrée, poursuivit la voisine quand il devint clair qu'Olivier ne trouvait pas les mots. Avec tout le monde à l'intérieur ; les élèves, les professeurs, les autres employés...
- Mais ils vont aller les chercher, dit l'enfant avec certitude. Pas vrai ? Les secours vont dégager les débris, et faire sortir tout le monde, non ?
- D'après ce que j'ai entendu... C'est le premier endroit où ils sont allés, mais ils n'ont pas réussi à trouver un signe de vie. Ils ont pu sortir quelques personnes, mais elles étaient toutes mortes. Et les chiens des secouristes n'ont senti aucun survivant sous les décombres, expliqua Coralie. »
Max cligna des yeux. Il comprenait, dans un sens, ce que ça voulait dire – il était juste incapable de l'assimiler pour le moment.
« Ça... ça veut dire que...
- Ils vont quand même tout dégager, dit précipitamment la voisine. Parfois, les gens sont enfouis si loin sous les débris que les chiens n'arrivent pas à les sentir. C'est rare, mais ça arrive. »
Et ils vont devoir sortir tous les cadavres de toute façon, ajouta-t-elle mentalement. Elle se garda de dire ça au petit garçon, cependant ; il n'avait pas besoin d'entendre ça.
« Où est-ce que je vais aller ? demanda l'enfant, au bord des larmes. Papa ne répond pas au téléphone, il faut que Marie aille à l'hôpital, et maman...
- On va rester avec toi, jusqu'à ce que tu arrives à appeler ton père, promit Coralie. On attendra à l'hôpital, pour qu'il nous retrouve facilement et que tu puisses avoir des nouvelles de ta sœur. »
Olivier, qui était parti devant pour installer la jeune femme inconsciente dans la voiture et démarrer, appela soudain d'une voix pressante :
« Cora ! Viens vite, elle a arrêté de respirer ! »
L'intéressée se mit à courir vers la voiture, tandis que Max restait figé sur place. Il vit la voisine essayer de réanimer Marie pendant plusieurs minutes, apparemment sans succès. Il ne ressentait rien ; c'était comme si tout ça arrivait à quelqu'un d'autre. Comme s'il était juste en train de faire un rêve. De très loin, il entendit Coralie annoncer que sa sœur était morte. Comme sa maman, comme Dionysos. Comme son papa aussi, sûrement. Sinon il aurait déjà répondu au téléphone.
Il ne réalisa pas qu'il pleurait à chaudes larmes jusqu'à ce que la voisine, en revenant vers lui, s mette à sa hauteur et le prenne dans ses bras.
« Ça va aller, murmura-t-elle en le berçant. Ça va aller, tout ira bien... »
Comment ? Comment est-ce que tout pourrait aller bien ? avait-il envie de demander. Il était tout seul. Sa maman était morte. Dionysos était mort. Son papa était mort. Marie était morte, et ça, c'était de sa faute. S'il n'avait pas couru après le chat, elle ne serait pas venue le chercher. Ils seraient restés dans la buanderie, et sa sœur serait encore en vie.
Ses parents étaient morts, et il avait tué sa grande sœur. Il était tout seul, et rien n'irait plus jamais bien.